Transcription de ma vidéo sur YouTube: https://youtu.be/nrlmZr-Rb8w
Bonjour!
À l’instar de notre balance commerciale, ce qui restait de ma mère, est décédé, ces jours-ci, à l’issue d’un Alzheimer qui avait fortement diminué son indice carbone. Alzheimer c’est un peu l’évolution à l’envers, vous passez de l’homme à l’animal avant de finir à l’état végétal avec, de temps à autre, sinon ce ne serait pas drôle, des petits flashs de conscience pour bien vous rendre compte de la situation. L’entourage est condamné à assister, impuissant, à cette descente aux enfers et à voir ses souvenirs de l’être cher souillés façon Joconde aspergée d’un seau d’excréments. C’est un peu comme la France qui, peu à peu, oublie ce qu’elle a été et se liquéfie inexorablement en un tiers-monde multiculturel. Feu mon père, en comparaison, a gagné au loto avec son cancer pourtant pas spécialement indolore, trouvant la force, dans ses derniers instants, de lancer une ultime vanne en prenant la pose d’un cadavre dans un cercueil et en articulant avec un dernier sourire « C’est bien comme ça ? Je n’ai pas encore l’habitude ». Au moins, je sais de qui je tiens mon sens de l’humour.
Même si, question de survie, j’avais déjà fait mon deuil depuis longtemps, le décès d’un proche, a fortiori votre dernier parent vivant, dernier paravent entre soi et la confrontation avec le fait que désormais on est le suivant sur la liste, est une de ces étapes qui amènent à faire une pause au milieu du chaos, à faire un peu d’introspection et à s’interroger sur le sens de la vie, d’où cette vidéo, un peu à la « campagnol » (pour ceux qui connaissent) et donc sensiblement différente du format habituel, mais je crois que nous avons tous besoin, par les temps qui courent, de cette petite pause et de cette réflexion.
Par ailleurs, hormis la troisième guerre mondiale, les viols, agressions de rues et coups de couteau habituels, les pénuries d’essence (en attendant les coupures d’électricité et de téléphonie mobile), une inflation à deux chiffres, le compteur Linky qui arrête à distance les ballons d’eau chaude, les box Internet qu’on va vous couper la nuit, Macron qui porte un col roulé et Obono qui nous invite au cannibalisme, il ne se passe pas grand-chose dans l’actualité.
Comme ma mère était croyante, j’ai eu l’occasion, en vue de la préparation de l’office religieux, de discuter avec un prêtre et, ce dernier étant de la vielle-école, ce que j’appréhendais comme un pensum nécessaire dans ce parcours du combattant qui suit généralement un décès, s’est avéré être un échange plutôt enrichissant. Je me suis rendu compte que même lui était contaminé par cette idée absurde et relativement récente que le but de l’homme est d’être heureux. Le but de l’homme, en tout cas occidental, est de bâtir quelque chose qui lui survive et il aspire avant tout à la stabilité nécessaire à pouvoir faire des plans, se projeter dans l’avenir et fonder une famille. Le bonheur n’est qu’un sous-produit de basse intensité de cette stabilité, tellement discret que faute de discipline pour prendre le temps de s’arrêter et de l’observer, on ne le remarque que quand il n’est plus là, quand on réalise, par exemple, que tandis que nous étions occupés à des choses qui nous semblaient importantes, les enfants sont subitement passés des couches-culottes en deuxième année de BTS sans qu’on sache comment. De même, le bonheur d’être jeune qu’on ne réalise que quand on est vieux, le bonheur d’avoir quelque chose dans son assiette qu’on ne réalise que quand elle est vide, le bonheur d’avoir du chauffage que, grâce à Macron, on va tous réaliser bientôt…
Ce qu’on confond avec le bonheur c’est la jouissance, laquelle, elle, est de haute intensité et à la portée du premier imbécile venu (ce qui inclut 99% de notre classe politique). Une jouissance addictive et particulièrement destructrice que les intoxiqués aspirent à être continue et que le système nous vend comme la raison même de l’existence du consommateur que nous sommes avec le pouvoir d’achat pour toute transcendance. Dès lors, comment ceux qui croient encore en un dieu, comme, par exemple, les musulmans, pourraient-ils cohabiter avec ceux qui ne croient qu’au pouvoir d’achat, a fortiori sous la bannière factice de la laïcité, concept franco-français incompréhensible pour le reste de la planète.
Quand on perd un être cher, il peut être réconfortant de croire au paradis, concept auquel pour ma part je n’adhère pas, mais qui fait de l’idée d’un paradis sur terre technologique (qu’on nous promet pour demain et qu’on nous vend sous le nom de « progrès ») une hérésie. Notre vie, si l’on peut et doit apprécier ses petits moments de magie (lesquels se révèlent à qui sait les voir), est avant tout une succession d’épreuves qui nous polissent, un système de filtrage à base de boues (pour rester poli) supposé débarrasser nos âmes des perturbateurs endocriniens pour qu’elles ressortent pures de l’autre côté, façon Darmanin après un non-lieu. Si l’on adhère à l’idée de paradis, il est donc vital que le Monde reste imparfait pour continuer à jouer son rôle de forgeur d’âmes et de caractère et même si, encore une fois, ce n’est pas ma conception, on ne peut que constater le niveau impressionnant de décadence et de faiblesse morale, physique et intellectuelle collective auquel nous ont conduit seulement quelques décennies de ce que macron qualifie « d’abondance ».
Une conception de « mal nécessaire » que défendait l’église d’avant les droits de l’homme et qui était la seule réponse possible à la contradiction apparente de ce dieu d’amour qui nous prenait nos êtres chers tout en rendant la vie facile à quelques pourritures qui, elles, devenaient centenaires ; réponse qui, accessoirement, sans invalider pour autant ce qui précède, contribuait à faire que les exploités acceptent leur condition qui rapportait beaucoup en échange de la promesse du paradis qui, elle, ne coûtait rien.
De même, il n’y a pas de paradis sans don de soi, ou plutôt d’oubli de soi et d’un nombril sacralisé, pour en ouvrir les portes ; que ce don se matérialise par des actes ou des espèces. Un don qui ne saurait être qu’individuel et d’humain à humain. Le fait de le collectiviser et de l’impersonnaliser sous le prétexte, à minima présomptueux, de construire un monde meilleur et de placer au centre un homme universel, est, d’un point de vue religieux, là encore, sinon une hérésie, une contradiction. Un état, ou une association n’ont pas vocation à être généreux et les entités non humaines qu’ils sont, à être sentimentales. L’amour ne se collectivise pas. L’amour ne se numérise pas.
Selon ce principe, un individu qui enjambe son prochain (à savoir le SDF au pied de son immeuble) pendant qu’il accueille un lointain qu’il ne connaît pas (c’est-à-dire toute la misère du monde) aux frais de la collectivité, si paradis il y a, ne le gagne pas. Surtout si l’on considère que ce que paye un migrant aux passeurs pour venir suffirait à acheter un aller en avion en première classe, chose qui soulèverait un tantinet moins de compassion parmi ceux qui n’arrivent plus à se payer un plein. Par ailleurs, il lui faudrait alors montrer patte blanche et se soumettre à une multitude de contrôles tandis que s’il arrive en nageant et en rampant, validant ainsi notre sentiment de supériorité et un paternalisme pour le coup réellement raciste, alors toutes les portes s’ouvrent et les questions disparaissent. Ce n’est pas pour rien que certains nous haïssent et nous méprisent.
Après une discussion animée sur l’œcuménisme à sens unique, Vatican 2 et mai 68, nous avons justement évoqué l’amour et la haine. Là encore, il avait cette conception de deux choses totalement distinctes plutôt que des faces d’une même pièce, l’amour étant, selon lui, le don ultime de Dieu. Je lui ai alors suggéré que Dieu, quoi qu’on mette dedans, nous faisait cadeau de la pièce entière qu’il plaçait en équilibre sur la tranche et que le but n’était pas de tomber dans la facilité en la faisant basculer d’un côté ou de l’autre, le saint et le monstre étant également libérés de leur humanité et de la corvée d’avoir à faire des choix, mais de la conserver ainsi en acceptant nos parts nécessaires d’ombre et de lumière. Je lui ai rappelé les marchands du temple et le fait qu’il y a forcément une hiérarchie dans les commandements de sorte que, s’il appartient à l’individu, lorsqu’il est attaqué, de choisir de se sacrifier au nom de sa foi plutôt que d’exercer la violence, dès lors qu’il est question de protéger ceux qu’on aime « tu ne tueras point » entre en contradiction avec un principe supérieur et devient relatif, sans quoi tendre l’autre joue, tout autant que la haine aveugle, nous voue à l’autodestruction.
Il m’a objecté Gandhi et je lui ai rétorqué que si d’autres n’avaient pas fait le sale boulot rendant la position des Anglais (les vrais, pas ceux du stade de France) intenable et qu’en lieu et place desdits Anglais et de leur souci d’image purement occidental, il y avait eu un Gengis Khan, sa tête aurait fini au bout d’une pique et qu’on n’en aurait plus entendu parler. La non-violence, pas plus que la violence, n’est une solution universelle et la façon saine de survivre sans tomber dans la fourberie (qui elle aussi, peut-être efficace, mais n’ouvrira pas la porte du paradis) est de rechercher la force que seule peut donner la foi, la détermination ou l’adhésion à un but qui nous dépasse. Une force que l’église, autocastrée en tombant d’un seul côté et en sortant du spirituel pur, a, à mon sens, perdue en route.
Tandis que, visiblement ravi d’être un peu titillé et de pouvoir revisiter ses fondamentaux, il prenait des notes en vue de son homélie, je lui faisais remarquer qu’en partant du postulat que le bien et le mal existent, il serait terriblement efficace (parce que logiquement absurde), lorsqu’on cherchait le bien, d’édicter des lois contre l’amour, lois qui ne feraient que le renforcer tellement il fait partie de nous. De la même façon et pour la même raison, n’est-ce pas servir le mal que de pondre des lois contre « la haine », quoi qu’on puisse entendre par là ?
Avant qu’il puisse me répondre, comme ces temps-ci ça meurt beaucoup, nous avons dû, un peu à regret, arrêter là la conversation, le rendez-vous suivant piaffant depuis un bon moment devant la porte du presbytère. Dans tous les cas, j’en ai retiré la réalisation que ma mère était de ces gens, capables de temps à autre, de faire une pause pour apprécier ce qu’elle avait et qu’elle n’avait jamais été, quand elle était elle-même, une simple passagère de sa propre vie, ce qui m’a un peu réconforté et que je vous souhaite à tous.
Sincères condoléances.
RépondreSupprimer